jeudi 1 mars 2012

ARTS PLASTIQUES / "Mon livre d"heures", "La ville". Frans Masereel. (Editions cent pages. Cosaques)

Frans Masereel naît en 1889 en Belgique dans une riche famille flamande. A l'âge de dix-huit ans il commence à étudier le dessin et la peinture à l'Ecole des Beaux Arts de Gand. En 1909, il voyage en Angleterre et en Allemagne où il découvre la gravure sur bois. Il s' établit à Paris en 1911 mais, résolument pacifiste, il gagne la Suisse au moment où éclate la première guerre mondiale. Il travaille comme graveur pour des journaux et des magazines. Ses gravures sont déjà fortement inspirées de sa révolte contre l'injustice sociale qu'il dénonce depuis qu'il a côtoyé la pauvreté durant ses études. Parallèlement à ce travail, il publie des albums condamnant les militaires, la guerre et les marchands d'armes. ("Debout les morts","Les morts parlent"). Il fait la connaissance de Romain Rolland, Emile Verhaeren, Barbusse et Stefan Zweig , tous écrivains ou poètes convaincus de l'inutilité de la guerre. Il illustre nombre de leurs oeuvres. Au cours de sa vie il sera également l'illustrateur des plus grands: Victor Hugo, Baudelaire, Tolstoï, Walt Withman, Oscar Wilde etc.
De 1917 à 1920, il participe à "La Feuille", un quotidien indépendant qui fustige allègrement militaristes, nationalistes, colonialistes et marchands d'armes. Avec le typographe anarchiste et insoumis Claude Le Maguet, il fonde la revue pacifiste "Les Tablettes" qu'ils réussiront à sortir régulièrement jusqu'en 1919. Toujours menacé de poursuites par l'armée belge, Masereel revient en France en 1921. Il réalise ses célèbres vues de Montmartre. En 1925, il compose "La ville", cent bois gravés qui montrent la pauvreté du peuple face à l'arrogance des nantis, puis en 1927 sort "L'idée", qui provoquera l'enthousiasme des antinazis allemands, notamment de Thomas Mann qui préfacera plusieurs de ses ouvrages. Il s'engage de plus en plus complètement dans le mouvement antifasciste. En 1932, il participe au congrès d'Amsterdam contre la guerre et le fascisme.
Comme beaucoup de ses contemporains, il croit un moment à la " révolution" russe mais il prend bientôt ses distances avec les "Staliniens" qui aiment beaucoup le réalisme social de son travail. L'homme est trop épris de liberté pour se laisser piéger par quelque dogme que ce soit.
En 1937, il travaille à de monumentales décorations murales pour le pavillon de la Belgique et pour celui de Paris à l'Exposition internationale de Paris. En juin 1940, fuyant les troupes allemandes, il s'installe à Avignon puis à Nice (où il mourra en 1972) continuant à graver sans cesse. Il ne jouira d'une notoriété internationale qu'à partir de 1950.
Si Masereel fut un très bon peintre, il est surtout connu pour ses innombrables bois gravés, une technique du XIVème siècle dont il fut un véritable rénovateur grâce à son langage plastique très particulier. Il abandonne tous les effets utilisés depuis le XVème siècle pour s'en tenir uniquement aux durs contrastes du noir et blanc. Il a su adapter la technique à son dessin expressionniste et à son univers. Il a réussi à faire partager au plus grand nombre ses idées de liberté, de justice et de paix, son monde à la fois plein de rage et de poésie avec ses "romans" dessinés. Thomas Mann dira de lui : "C'est le coeur, ce fichu coeur d'homme, qui le forçait à vivre, qui l'a parasité toute sa vie, qui l'a fait aimer et souffrir, protester avec ses rires et ses pleurs contre toute erreur ou fausseté, toute bassesse et indifférence."
Les livres de Frans Masereel sont hélas aujourd'hui édités avec parcimonie et souvent vendus à des prix prohibitifs. Ce n'est pas le cas de ceux que nous présentons ici. En 1927,
Thomas Mann écrivait dans la préface d'une édition bon marché de "Mon livre d'heures" : "... et l'idée de le rééditer, de le livrer enfin de son existence ésotérique sur japon impérial, et de le démocratiser en le rendant abordable à l'ouvrier, au jeune chauffeur, à la petite téléphoniste, paraît on ne peut plus naturelle, plus juste. Entre leurs mains il trouvera sa véritable place, bien plus qu'entre celles des snobs, et je me réjouis d'avoir à l'introduire auprès de ce public."
Ces deux petits livres vendus environ 20 euros sont un régal pour les yeux et l'esprit. De plus ils résument parfaitement l'oeuvre de Masereel, tant par les thèmes abordés que par la technique utilisée. Il n'est peut-être pas inutile de dire que "Mon livre d'heures" était un de ses livres que l'auteur préférait.

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