samedi 26 janvier 2013

MUSIQUE. RANDY NEWMAN.

Mais pourquoi Randy Newman n'est-il pas plus connu sous nos latitudes? Peut-être a-t-il trop nagé à contre-courant? Dès son premier disque (1968) le bonhomme était déjà atypique. Avec ses lunettes épaisses et son look de représentant de commerce, il ressemblait plus à Woody Allen qu' à  Mick Jagger, il s'escrimait à jouer du piano alors que l'époque était aux guitar heroes et préférait les violons à la batterie. Ses textes n'avaient rien de sucreries pour adolescents et leur auteur ne brassait pas non plus de grandes idées, il se faisait déjà le chroniqueur inspiré et ironique, parfois même sarcastique, des travers de la société américaine et de ses compatriotes. Bref, comme le dit François Gorin dans son très bon livre Sur le rock (Editions de l'Olivier), selon les critères pop, Newman n'est pas vendable.   
Randy Newman naît à Los Angeles en 1943. Il vit en Louisiane puis en Alabama avant de grandir à Los Angeles où il apprend le piano. Adolescent, il écrit et vend quelques chansons. Plus tard, diplômé en composition musicale, son côté "dilettante" et sa voix cassée, presque discordante, ne le poussent pas à interpréter ses chansons lui-même. Il écrit et devient arrangeur pour des maisons de disques. Ses oeuvres sont chantées par  Alan Price, Eric Burdon, Cass Elliot ou Harry Nillson. Il accompagne même  parfois au piano certains de ces artistes. En 1969, il se décide enfin à sauter le pas et se produit sur scène avant d'enregistrer un premier disque intitulé tout simplement Randy Newman. Le disque est bien reçu par la critique mais se vend mal. Randy Newman renouvelle néanmoins l'opération avec 12 Songs, accompagné à la guitare par Ry Cooder.
Ce n'est pas non plus un gros succès commercial mais son public s'étoffe. Vient ensuite Sail Away (1972) qui lui permet de décoller. La chanson-titre est reprise par Ray Charles et par Linda Ronstadt. Entre temps est sorti un live qui se vend bien. En 1974 paraît Good Old Boys qui reçoit un bel accueil malgré les messages acides et non-politiquement corrects adressés sans ménagement à l'américain moyen du Sud, raciste et étroit d'esprit. Ensuite, l' homme décide de se reposer pendant trois ans: "je n'avais pas envie de travailler, ça m'a repris un matin en rentrant dans ma salle de bains" dira-t-il ! La paresse est bien récompensée puisque le très beau Little Criminals (1977) sera son premier succès international et son seul disque d'or aux Etats Unis. En 1979 sort le controversé Born Again. Depuis les années 80, Randy Newman a choisi de se consacrer aux musiques de films. L'une de ses plus belles réussites est la musique de Ragtime de Milos Forman. Cela ne l'a pas empêché (un comble pour "un flemmard" qui, de surcroît a failli mourir d'une grave maladie) d'enregistrer quelques bons et surprenants albums comme le très travaillé Harps and Angels (2008).
Le musicien est souvent assez déroutant, sa voix blues et soul semble utilisée à contre- emploi dans les chansons à l'humour pince-sans-rire. Mais Randy Newman sait aussi se faire extêmement émouvant quand il redevient sérieux et si vous ne vous méfiez pas, il est capable de vous tirez des larmes ! (Texas girl at the funeral of her father, Old man the farm, Jolly Coppers on parade, I miss you etc.).
Outre les chansons qu'il a écrites spécialement pour d'autres, il a été repris par des artistes de tous horizons : Nina Simone, Judy Collins, Alan Price, Joe Cocker, Flamin Groovies, Peter Gabriel, Ringo Star ...
Ceux qui voudraient découvrir Randy Newman peuvent le faire avec le superbe Randy Newman. Live in London. Enregistré et filmé au LSO St. Luke's. Le musicien est accompagné par l' orchestre de la BBC. (Nonesuch). CD + DVD.

Toujours sur la brèche et soutenant Obama, il a enregistré en 2012 une chanson anti-raciste intitulée I'm dreaming téléchargeable gratuitement sur son site.


samedi 19 janvier 2013

MUSIQUE. Screws. NILS FRAHM. (Erased Tapes Records).

Nils Frahm nous prouve, s'il en était besoin, que la création comme la vie a souvent à voir avec "le hasard et la nécessité". Il vient d'enregistrer un concept-album, sinon malgré lui, du moins dans des conditions qu'il n'avait ni imaginées ni prévues.
Le hasard: le pianiste se casse le pouce de la main gauche et doit abandonner tous ses projets en cours.
La nécessité: bien que le médecin lui conseille de ne pas toucher le piano pendant un certain temps, Nils Frahm ne peut pas s'en empêcher, jouer lui est nécessaire, alors un soir, il se remet à l'ouvrage avec 9 doigts.
Le concept se construit de lui-même. Le musicien installe un micro et les 9 doigts vont finir par créer 9 morceaux, chacun ayant pour titre les 7 notes de la gamme ainsi qu'une introduction qu'il baptise You et une conclusion qu'il appelle Me!
A la même époque, il y a trois ans, Nils Frahm avait enregistré le très beau Wintermusik, originellement prévu pour être offert en cadeau de Noël à sa famille et à ses amis. Screws pourrait être le deuxième volet de cet album, il est tout aussi intimiste et peut- être encore plus mélancolique sans jamais être pesant.
Pas de démonstration ici, un minimum de notes pour un maximum d'émotion, c'est l' apanage des grands.

                              

jeudi 10 janvier 2013

POESIE. Journal d'un manoeuvre .(L'Arpenteur)- L'homme qui penche.(Pleine Page Editeur). THIERRY METZ..

Thierry Metz est né à Paris en 1956. Il découvre la poésie en autodidacte. A l'âge de 21 ans, il s'installe à Agen où il partage son temps entre le travail en usine ou sur les chantiers de constructions comme manoeuvre, et son travail d'écriture. En 1978, il rencontre Jean Cussat-Blanc, fondateur de la revue Résurrection qui édite ses premiers textes avant de le présenter à Jean Grosjean, poète, essayiste, lecteur et traducteur chez Gallimard qui est à l'origine de l'édition du recueil qui fera connaître le jeune auteur, Le journal d'un manoeuvre. Le poète est à peine reconnu lorsqu 'un chauffard tue l'un de ses trois fils sous ses yeux (1988). Thierry Metz ne s'en remettra jamais, hanté par le drame, il trouve refuge dans l'alcool. Essayant de reprendre pied, il se fait interné volontairement à l'hôpital de Cadillac où il mettra fin à ses jours le 16 avril 1997, laissant derrière lui une oeuvre d'une rare originalité.
Le journal d'un manoeuvre s'ouvre avec l'embauche de l'auteur sur un chantier et s'achève avec la fin des travaux. Étrange sujet que le poète transcende de son écriture  d'une extraordinaire intensité. Il nous parle des dures journées de travail, de la fatigue, il brosse en quelques mots le portrait de ses collègues mais s'attarde aussi parfois sur les moments de loisirs à la maison. Tout cela pourrait sembler banal et pourtant que de pages lumineuses, que d'images magnifiques nous sont offertes par ce manoeuvre-poète qui sait dire presque en chuchotant l'essentiel de la condition humaine!
L'homme qui penche est le fruit de deux séjours en hôpital psychiatrique.
 C'est l'alcool. Je suis là pour me sevrer, redevenir un homme d'eau et de thé... je dois tuer quelqu'un en moi, même si je ne sais pas trop comment m'y prendre. Toute la question ici est de ne pas perdre le fil. De le lier à ce que l'on est, à ce que je suis, écrivant.
Malgré sa fin tragique, Thierry Metz aura mené son écriture jusqu'au bout des 90  textes qui disent le mal-être, la vie abîmée, qui dressent les portraits émouvants de celles ou ceux qui, comme lui, ont été blessés à tout jamais. L'émotion est palpable, chaque fragment est un petit chef-d'oeuvre d' humanité et de poésie:
Elle est maigre, très maigre et ne parle pas, toujours étonnée de nous voir, presque transparente, soutenue comme une brindille par un oiseau que nous ne voyons pas.
Ce livre, plus qu'un livre de plus à lire est une expérience dont on ne sort pas indemne.

Merci à Maryse Vuillermet et à Fabienne Swiatly de nous avoir fait découvrir un tel auteur.

La revue Diérèse a consacré deux numéros à Thierry Metz:

mardi 1 janvier 2013

LITTERATURE. Le Trésor de la guerre d'Espagne. SERGE PEY. (Editions ZULMA).

Il était prévu que nous reparlions de Serge Pey dans la rubrique poésie, c'était sans compter avec l'éclectisme d'un artiste à la fois écrivain, poète, plasticien, improvisateur etc.
Le Trésor de la guerre d'Espagne est un recueil de 17 nouvelles arrachées à la mémoire et à l'imagination de l'auteur, héritier des révoltes de ses aïeux résistants républicains pendant la guerre civile.Ces nouvelles sont un bel hommage à leurs combats. Il ne s'agit pas d'Histoire ici mais d'histoires, souvent vécues par des enfants, ce qui permet à Serge Pey de laisser libre court à son inspiration et à son immense talent de conteur. Des histoires rarement drôles, souvent dramatiques, parfois terribles mais toutes écrites dans un style remarquable, superbe et poétique. Reliées entre elles par certains personnages ou certaines situations, elles pourraient composer 17 chapitres d'un roman si chacune d'elle n'était pas si pleine et si puissante.
Le risque était grand d'introduire la beauté de l'écriture, l'humour ou la tendresse dans un univers de violence extrême au coeur de l'horreur fasciste, paradoxalement, c'est cela qui fait la force de ce livre, lui évite de tomber dans le pathos et fait des personnages qui le peuplent des êtres de chair et de sang qu'on n'oublie pas.
Le Trésor de la guerre d'Espagne est le titre d'une des nouvelles, il pourrait également qualifié cet ouvrage.
www.zulma.fr
Serge Pey a créé une pièce de théâtre à partir de son livre. Il en a fait lui-même l'adaptation et la mise en scène. La scénographie est de Chiara Mulas. Comédien: Jean-Yves Michaux.

La vidéo suivante est une lecture de l'une des nouvelles de Le Trésor de la guerre d'Espagne